Chronique d'un long et dur labeur
...et d'une des raisons pour lesquelles ce blog est resté mort pendant un mois (les autres sont, comme d'habitude, Aristophane, internet, et la flemme), ce dont je m'excuse platement.
Il y a... je ne sais même plus combien de temps, ma copine et jumelle en geekerie Leïa Tortoise, prévoyant de déménager son blog, m'a demandé si je pouvais lui dessiner une bannière ; ce que j'ai accepté sans hésitation, pensant que ce serait l'affaire de quelques heures de lorgnage sur écran. Ce fut le cas, au sens large de "quelques".
Attention, le pas-à-pas qui va suivre est extrêmement long. Et, malheureusement, les diverses bannières sont trop grandes pour être montrées entièrement dans l'article ; il vous faudra cliquer sur les liens à chaque fois.
Il se trouve que Leïa avait un cahier des charges réalisé avec la plus extrême précision, schémas, références photo et tout. Ma mission, que j'avais déjà acceptée, était de caser :
- le titre "Tortoise's Times Tree" en lettres faisant un peu penser à des branchages ;
- des livres volants qui s'agitent au bout de leurs chaînes, façon Université de l'Invisible sur le Disque-Monde, à la manière de ce dessin de Paul Kidby ;
- à l'autre bout de la chaîne, une montre à gousset semblable à celle de John Smith dans la saison 3 de Doctor Who, d'où s'échapperait un faisceau lumineux faisant penser au vortex spatio-temporel dans lequel se balade le Tardis dans la série ;
- un Tardis, justement, se baladant et clignotant dans ledit vortex ;
- quelques étoiles, et éventuellement une nébuleuse de la tortue ;
- un arbre avec une grosse branche qui repasse en-dessous du titre, et une petite porte qui "suggère l'habitat d'un gnome arboricole" (références iconographiques jointes) ;
- un dragon un peu blasé qui planote par là-dessous ;
- une pomme, pour évoquer simultanément Sam Vimaire ("si tu n'es pas une pomme, tu es une banane"), le Limousin (lieu de résidence de notre Leïa) et, apparemment, Naheulbeuk (je te crois sur parole) ;
- une rose bien sombre censée évoquer Twilight, la Tour Sombre de Stephen King, et autres imageries gothiques - l'expression employée fut, je crois "comme un vampire réincarné", ce qui me fit froncer les sourcils devant MSN, et à raison, car vous allez voir que cette rose a été à elle seule responsable d'environ soixante-quinze pour cent de nos difficultés.
- des nuages et un ciel violet (elle y tient, à son purple sky).
D'accord, c'est parti ! Premier crayonné expédié en cinq minutes dans l'enthousiasme du moment,histoire de vérifier que tout rentre, rose, montre, livres, vortex, Tardis, pomme, bananes, dragon, arbre, étoiles, le compte y est. Vite, un premier barbouillage couleur pour esquisser une ambiance. Est-ce assez violet, pas assez... ? Réponse de Leïa : ça convient. Moi : nickel ! on va avoir fini ça en un rien de temps.
A présent, plus qu'à commencer à détailler tout ça. Heureusement, la superbe montre à gousset de John Smith a été fabriquée comme produit dérivé de la série, et je n'ai pas eu de mal à trouver des références ; Leïa a même bien voulu prendre pour moi quelques photos de la sienne. (Pour ce qui est du Tardis, j'ai tout ce qu'il faut sur mon étagère à DVD, et, de l'extérieur, ce n'est franchement pas le vaisseau spatial le plus difficile à dessiner. De ce point de vue-là, nous avons un net avantage sur les fans de Star Trek, pour ne nommer qu'eux.)
Je fignole amoureusement la plus belle rose que je peux, je rajoute une tortue parce que j'estime que le blog de quelqu'un qui s'appelle Tortoise devrait en avoir une.
Je transmets, histoire de savoir ce qu'elle en pense, et notamment si le vortex était suffisamment vortexoïde (je m'attendais à ce que la réponse soit "oui", parce que j'en étais drôlement fière).
...Apparemment, il pourrait être plus vortexoïde que ça. Oh, et la rose, les fruits et la tortue sont trop gros. Au passage, Leïa suggère une excellente idée : dessiner la tortue en chute libre, façon Om dans les Petits Dieux de Pratchett.
Pour la première fois - mais pas la dernière, oh non... - je me dis que j'aurais dû mettre les divers éléments sur des calques différents, au lieu de tout coller sur le même dans mon enthousiasme du départ. Bah, tant pis, ce n'est pas comme si je risquais de tout devoir refaire dix fois. Hein ?
Heureusement, ce n'est pas très difficile de réduire des trucs avec le Gimp, même s'il faut réajuster les nuages après. J'en profite pour ajouter les lettrages - sur un calque différent, cette fois. (Comme par hasard, c'est le seul élément que j'aurai bon du premier coup...)
Verdict leïanien : la rose ne convient toujours pas. Elle est toujours trop grosse, et il faudrait qu'elle soit vraiment enveloppée dans un halo de fumée noire ; j'ai beau m'accrocher à mon idée que ça déséquilibrerait toute l'image, Leïa a une image très claire en tête et elle y tient. Et ce serait bien si la tortue tourbillonnait un peu. Oh, et le vortex pourrait toujours être un peu plus vortexoïde.
La mort dans l'âme, je me résous à bazarder ma belle rose et à recommencer ce coin du début.
Cinquième version. Il est vingt-trois heures trente, j'ai les yeux qui se ferment tout seuls, et conséquemment, le vortex est aussi vortexoïde que possible, mais très bleu. Heureusement, ce n'est qu'une version d'essai ; je récupérerai une sauvegarde plus ancienne et je recommencerai en y allant plus mollo sur le bleu.
La rose ne va toujours pas, par contre. Il la faudrait "auréolée de clarté dans son obscurité". Heu ?
Sixième version, avec le plus beau vortex que vous verrez jamais de ma part (malheureusement, les versions ultérieures n'ont pas réussi à le garder intact), et une jolie auréole de clarté bien empâtée autour de la rose. Mais apparemment, le look "fleur qui vient de se faire électrocuter" convient moyennement.
(Ne faites pas attention aux lettrages qui apparaissent et disparaissent, je n'ai pas toujours pensé à remettre le calque en visibilité avant de tirer ma version jpg.)
Version sept. Je me suis rendu compte que le dessin était un peu haut pour une bannière, et j'ai tâché de resserrer un peu le lot, en maudissant pour la deuxième fois l'idée stupide de tout avoir mis sur le même calque. Je continue de me battre avec le couvercle intérieur de la montre, que l'on ne voit pas sur ma photo de référence, et où j'ai envie d'évoquer un peu l'élégante écriture gallifreyenne, ce qui est plus facile à dire qu'à faire (spoiler : je n'y suis pas arrivée).
La rose s'améliore petit à petit, mais ce n'est pas encore ça. Leïa me bombarde de photos de jardinage et de sites sur Stephen King, et je désespère en sourdine.
Le vortex est un peu trop large, aussi. Il va falloir que je me résolve à tailler dedans, et ça implique de refaire en grande partie les motifs si je ne veux pas me retrouver avec un continuum spatio-temporel tout écrabouillé.
Version huit. Côté montre, j'ai abandonné le gallifreyen pour de simples reflets, qui s'annoncent pas si simples que ça. Au passage, j'ai un peu détaillé le dragon qui devait se sentir un peu délaissé dans son coin, et j'ai eu l'idée de déplacer le régime de bananes de droite pour le caser à l'intérieur du T de Tree. Idée marrante, mais comme me le fera remarquer Leïa, ça rend le mot moyennement lisible. Dommage, j'aimais bien...
Quant à la rose, après les doutes et les inquiétudes, l'espoir revient avec la réponse :
"Et en fait, je me demande si j'ai pas mis le doigt sur un truc crucial: ta lueur est en jaune, et je me demande si ça serait pas mieux en blanc. Même un filet beaucoup plus ténu, surtout des "étincelles", un peu comme quand les Slitheen ouvrent la fermeture éclair de leur enveloppe corporelle, ou que la lumière jaillit à travers une brèche, m'enfin quand même moins "rayon lumineux", juste petit étincellement. Tu vois?"
Et le sort voulut que l'évocation d'aliens pétomanes et verdâtres me permît enfin d'aboutir à la rose parfaite.
Version neuf. C'est bon ! on y est ! c'est la rose que nous voulions ! on y est presque - plus qu'à remachiner un peu le fond, parce qu'en l'état actuel des choses, je cite, "ça fait plus "j'ai éteint un incendie avec un extincteur" que "on nage dans les nuages"". Ah bon ?
J'aurais vraiment dû utiliser des calques différents.
Version dix.
L'enthousiasme explose ! Leïa et moi rivalisons de points d'exclamation sur notre fenêtre MSN : c'est ça !! on y est arrivées !!! victoire !!!!!
Et là, Leïa tente la mise en place sur le blog, et il s'avère qu'aucune de nous deux ne s'était posé la question des proportions.
A savoir, la bannière est beaucoup trop haute, ou pas assez large, au choix. L'enthousiasme reflue net. Complètement découragée devant la perspective de devoir tout reprendre du début, j'avoue qu'à ce moment précis, je ne suis pas passée loin de dire à Leïa que, trop haut ou pas, c'était à prendre ou à laisser. Dieu merci, cet état d'esprit n'a pas duré, et j'en suis vraiment ravie. Un peu de remue-méninge collectif nous a permis de nous rendre compte qu'il ne serait pas si difficile d'étirer le milieu de l'image, après avoir pris soin de mettre les éléments d'avant-plan en lieu sûr pour ne pas hériter de pommes obèses et de Tardis déstructurés. Et, si besoin était, de compléter les bords avec quelques éléments supplémentaires, pour lesquels Leïa fourmillait déjà d'idées.
Version onze : l'étirement s'avère probant. La nouvelle largeur est ajustée au pixel près au moyen de la calculatrice Windows et d'une savante règle de trois : 960, pas un de plus, pas un de moins. Un peu de travail s'avérera quand même nécessaire sur le vortex (et moi qui en étais si contente...)
On manquait un peu d'éléments pottériens dans ce méli-mélo ; la sorcière sur son balai sera la bienvenue. En revanche, la tentative d'intégrer à l'image le lutin propriétaire de la porte se heurte à un problème de taille ; s'il doit pouvoir passer par ladite porte, il doit être trop petit pour être distingué correctement. Idée abandonnée à regret. En revanche, les vagues pâtés blanchâtres à la fenêtre, qui étaient censés être des fleurs, ont eu un résultat inattendu : Leïa y a vu des escargots-lucioles, une idée qui m'a enchantée.
Et la treizième fut la bonne, à quelques fignolages près (dans la nouvelle disposition, les lettrages cachaient la tortue ; il a fallu la rabaisser. J'ai déjà dit que j'aurais mieux fait d'utiliser des calques différents ?
Oh, et dites bonjour au petit escargot porte-bougie qui descend la rampe le long de l'arbre ; c'est l'avatar de l'"escargot-luciole" dont je parlais plus haut, mais les plus anciens d'entre vous reconnaîtront peut-être l'avatar que j'utilisais sur un ou deux forums il y a quelques années de cela. Voilà, j'envahis sournoisement les bannières d'autrui (gnak gnak gnak). Remarquez, ce n'est peut-être pas plus mal, vu que j'ai oublié de signer.
Quelques remarques pour conclure :
1/ Les calques ne sont pas pour les chiens.
2/ Ce pas-à-pas n'est pas exempt de râlerie ; c'est pourquoi je tiens à faire savoir que, même si j'ai en une ou deux occasions manqué me mettre à jeter des trucs, la réalisation de cette bannière a quand même été, dans l'ensemble, un plaisir. Toute expérience est bonne à prendre, et je n'avais encore jamais dessiné de tortues, de roses, de vortex spatio-temporels, ni même de bananes. Et la fierté que j'en éprouve maintenant paie largement la peine que j'y ai mis.
3/ En plus, Leïa m'a envoyé un livre et un superbe marque-page fabriqué main, avec un soin et une imagination qui font chaud au coeur. Merci !
4/ Et maintenant, allez visiter son blog, où vous trouverez ses créations et ses compte-rendus de lecture, de visionnages, de concerts, etc., toujours bourrés de trouvailles intéressantes.
Voilà ! j'ai dit tout ce que j'avais à dire (encore heureux, c'est l'article le plus long de l'histoire de la Montagne). Maintenant que ce travail-là est terminé, je vous parlerai peut-être bientôt de mes commandes en cours, ou d'autre chose, si je trouve de quoi parler. A bientôt !