Incipit

Publié le par Alda

Nos vaillants ancêtres les Moyenâgeux, quand ils n'étaient pas occupés à se rentrer dedans à cheval ou à construire des cathédrales, s'appliquèrent également à copier et recopier tous les textes de l'Antiquité ; c'est donc grâce à eux que je vais pouvoir avoir la chance de préparer l'agrégation de lettres classiques, mais là n'est pas le sujet. Comme il leur arrivait de caser plusieurs textes dans le même livre et que le paratexte de l'époque n'était pas encore très développé, il leur fallait bien préciser où commençait l'un et finissait l'autre, et l'on trouve donc au début des différents manuscrits des phrases comme : M.T. Ciceronis liber de legibus primus incipit, soit dans le jargon de l'époque : "ici commence le premier livre sur les Lois de Marcus Tullius Cicéron". Je ne frime pas, j'informe.

A se retrouver ainsi à chaque début de texte, ce petit mot incipit, du verbe incipio signifiant commencer, en vint à désigner le début d'un roman, d'une nouvelle, en étude littéraire. Quel collégien, quel lycéen ne s'est pas vu infliger un jour ou l'autre le commentaire du fameux Incipit de Madame Bovary et son inénnarable casquette ?

Moi, en tout cas, qui fus toujours bonne élève et sérieuse et irréprochable malgré une tendance avouée à faire des dessins pendant les cours, j'ai retenu deux ou trois choses à ce sujet. L'incipit plante le roman. Il annonce la matière. Il présente le lieu, le temps, les personnages. Il donne au lecteur une idée de ce qu'il doit attendre.

Chante, déesse, la colère d'Achille, le fils de Pélée ; détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre et jeta en pâture à Hadès tant d'âmes fières de héros, tandis que de ces héros mêmes elle faisait la proie des chiens et de tous les oiseaux du ciel - pour l'achèvement du dessein de Zeus.
Evidemment, on n'en était encore qu'aux balbutiements de la technique ; plus tard, on perfectionna le truc et on apprit notamment à ne plus raconter la fin des histoires avant le début.


A partir d'une certaine époque, les auteurs s'avisèrent qu'il y avait maintenant un tel volume de textes littéraires que le seul moyen de faire remarquer son oeuvre était d'être original et si possible de prendre le contre-pied de tout ce qui s'était vu auparavant. Encore un peu plus tard, tout le monde avait été tellement original que même ça n'était plus possible, et c'est là que l'affaire de l'incipit se complique singulièrement. Lieu, temps, personnages, cela devenait un peu court pour fonder le passage qui devait Accrocher l'oeil du Lecteur et faire qu'il n'en décroche plus jusqu'à la fin du livre.

L'Incipit est devenu la clé de l'écriture. En effet, s'il est des livres tellement ennuyeux que vous n'irez pas jusqu'à la fin, ce qui simplifie les choses de ce côté-là, il est rare que vous passiez à côté du début et c'est là qu'il faut frapper fort, messieurs les auteurs.

Qui dira le cauchemar de l'Incipit, dira une bonne partie des angoisses auctoriales...
A ce stade-là (si du moins l'incipit de mon article vous a donné l'envie et le courage de lire jusqu'ici), je pense que vous commencez à deviner pourquoi tout ce blabla. Ben oui. J'ai commencé à réécrire mon chapitre un...
Attention, hein ! Je n'ai pas dit que je me prenais pour un écrivain ! Mais dans un sens, ça complique encore la tâche. Parce que l'écrivain, lui, il a pour seuls juges de sa plume lui-même et sa Muse. Il écrit sous l'emprise d'une Nécessité. Il sue du sang et des larmes, tous les soirs dans sa mansarde jusqu'à des heures inhumaines, pour arracher à ses tripes la révélation qu'il aura la dure tâche de coucher sur le papier.
La raconteuse d'histoires amatrice que je suis, au contraire, écrit pour un éditeur et ça c'est une autre paire de manches. L'éditeur, contrairement à la Muse, commence par la première page. Incipit au rapport.

Donc, je me pose sur un fauteuil, mon ordinateur sur les genoux et je Pense. Comment dois-je entamer ce maudit chapitre un ? Que dois-je révéler, que dois-je garder pour plus tard ? Dois-je dévoiler mes batteries tout de suite ou laisser au lecteur un semblant de trompeuse espérance ?
Finalement, je me décide pour un petit passage anodin, plantant une vague ambiance et donnant, je l'espère, une idée ni trop fausse ni trop désastreuse de mon style. Le passage en question est actuellement en attente de décortiquage chez les impitoyables du forum de Cinquième Saison ; j'en attends des nouvelles - même si je n'ai pas trop d'espoir, ils ont quand même des choses un peu plus intéressantes à lire chez Cinquième Saison que mes incipits.

Le destin de la première page de Carami, et partant de Carami tout entier, est donc en suspens... Cependant que je m'en vais, ce soir, essayer de voir ce que je vais faire de la deuxième page et peut-être même de la troisième, parce que mine de rien ça peut aussi avoir son importance.


Amitiés.


PS : Cet article n'est pas et ne prétend pas être une réflexion narratologique sérieuse. Si mon cerveau fonctionnait pendant les vacances d'été, ça se saurait.
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R
Super intéressant cet article Alda ! Vraiment ! En tout cas, je ne savais pas tout ça, donc j'ai lu avec beaucoup d'attention ;).J'espère que le remaniement de ton premier chapitre va bine se passer, et que tu vas ensuite te remettre à la suite avec une bonne dose de motivation.
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Z
Interrressantte cette histoire d' insipide , moi je me noie dans le pastis !
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