Bouts de machins
Voici tout d'abord un moment clé de l'histoire. La rencontre entre deux de ses personnages principaux. Norandamo Astandiya, évadé de prison et parti pour une quête improbable avec toute la police de la région aux trousses, vient de tuer en combat singulier un officier qui avait retrouvé sa trace. Alors qu'il reprend son souffle, il entend un bruit derrière lui...
En d’autres circonstances, ç’aurait pu être une jeune fille, mais il fallut à Noran plusieurs secondes pour en être certain. Ses membres anguleux auraient pu être ceux d’une grande araignée furtive, sa maigreur celle d’un de ces insectes qui se confondent avec les branches pour se dissimuler ; et sans le court sarrau grisâtre sous lequel disparaissaient le peu de formes qu’elle pouvait avoir, elle se serait confondue tout aussi bien avec les arbustes secs et nus dont elle avait émergé. Sa peau avait la teinte d’un pain d’épice qui aurait traîné dans la poussière, mais seulement jusqu’aux genoux, à partir desquels elle prenait la couleur de la boue séchée qui lui recouvrait les jambes. Ses cheveux raides et noirs, taillés court, tombaient anarchiquement de part et d’autre de son visage et lui donnaient l’allure d’un hérisson effrayé.
Elle était sale à faire peur et pas qu’un peu pathétique, mais Noran lui-même ne devait pas valoir tellement mieux.
Elle était surtout immobile et comme fascinée, ses yeux, blancs et brillants au milieu de ce visage sombre, fixés sur le point où le sabre de Guéro disparaissait dans le corps de l’officier à terre.
Noran, après un instant d’hésitation, retira la lame du cadavre et la tint vaguement pointée vers le sol quelque part entre les arbres et lui. L’apparition ne bougea pas un cil.
« Reste où tu es, risqua-t-il au bout d’un moment d’une voix peu assurée. Je suis armé. »
Si ça n’était pas une belle évidence, on voit mal ce qui pouvait l’être. Un semblant de silence retomba sur le bosquet, avec peut-être en arrière-plan le piétinement d’un lapin ou le glougloutement du ruisseau le plus proche, et le faible bruit de l’officier qui finissait de mourir tranquille. Puis l’apparition prononça, d’un chuchotement éraillé :
- Euh, fit Noran. On dirait bien, oui…
- Waouh », rauqua l’adolescente.
Le second dialogue, ça va de soi, n'a pas encore de contexte, et il n'est même pas dit que les personnages qui parlent restent les mêmes.
- Et alors ? reprit Mirek. On va assiéger Selmina, comme dans les épopées, avec les grappins contre les murailles et les zigues d’en haut qui nous balancent de l’huile bouillante et le reste ?
- Mais non, soupira Lerhyn. Je suis déjà allée à Selmina, tu sais. Y a pas de murailles. On rentre et puis c’est tout.
- Ah oui ? Et qu’est-ce qu’on fait, une fois qu’on sera rentré ?
- On se bat. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? C’est la guerre.
- Je veux dire, une fois à Selmina. On essaie de prendre le palais royal ?
- Prendre ? Comment ça prendre ?
- C’est ce qu’on dit chez les militaires, quand on enlève les ennemis d’un bâtiment et qu’on se met dedans. On le prend.
- Ben… Alors oui… peut-être…
- Tu veux dire que tu n’y as pas encore réfléchi ?
- Écoute, tu vas m’embêter encore longtemps ? cria Lerhyn, et Mirek recula d’un pas. Tu crois que je n’ai déjà pas assez de mal à m’occuper ce ce qu’on a ici et maintenant ? Qu’est-ce que tu viens faire ici, toi ? »
La question s’adressait à Zemhar, qui venait de risquer un œil circonspect à l’intérieur de la tente.
« Je venais voir ce que vous faisiez, répondit-il en haussant les épaules.
- Nous établissons nos plans de guerre, répondit Lerhyn avec hauteur (bien qu’elle butât légèrement sur «établissons »). Laisse-nous tranquille, tu veux ? »Dites-moi ce que vous en pensez, le bien et surtout le mal parce que c'est comme ça qu'on avance ; mais dites-vous bien que rien n'est définitif et que si ça se trouve, demain j'aurai tout changé.
Incidemment, voici un dessin vite fait de Nino en train de boire.